C’est un vieux serpent de mer qui remonte à la surface de temps à autre. La France compterait encore plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de canalisations en amiante ciment, mais on ignore toujours si l’amiante de l’eau potable est nocif pour la santé humaine. Une réponse du ministère de la Santé annonce de nouvelles études sur le sujet. L’amiante qu’on respire est hautement toxique, ça on sait. Mais l’amiante que l’on ingère ? Dangereux? Pas dangereux? A dire vrai, on ne sait pas trop, les études se contredisent parfois. Quand certaines évoquent un lien entre l’amiante de l’eau potable et des cancers digestifs, d’autres restent très prudentes. Faute de certitude, la réglementation est restée lacunaire jusqu’à aujourd’hui. « En termes de gestion du risque sanitaire pour l’eau potable, à ce jour, aucune valeur sanitaire n’est définie pour l’eau potable », rappelle le ministère de la Santé dans sa récente réponse « En effet, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a pas défini de valeur guide pour l’amiante dans l’eau de boisson dans ses directives pour la qualité de l’eau de boisson, en raison de l’absence de preuve que l’ingestion hydrique d’amiante présente un risque pour la santé. » Puisqu’il n’y a pas de preuve que cela existe, faisons comme si ça n’existait pas. LE DOUTE PERSISTANT En France, l’Anses (Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a déjà été saisie à deux reprises pour apporter une réponse à partir de la littérature mondiale consacrée au sujet. Dans son rapport de 2010, l’Agence indiquait qu’« aucun effet sur la santé n’avait été prouvé à ce jour concernant l’ingestion d’amiante par voie buccale, du fait par exemple de la présence du minéral dans l’eau ». Dix ans plus tard, la conclusion reprise dans la réponse du ministère, n’a pas vraiment évolué. Dans son avis relatif à la caractérisation du danger lié à l’ingestion d’amiante publié en 2021 l’Anses n’établit toujours pas de lien avéré entre l’ingestion d’amiante via la consommation d’eau contaminée et les cancers digestifs et de l’ovaire ainsi que les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Principe de précaution oblige, l’Anses recommande toutefois de réaliser des campagnes ciblées pour détecter la présence d’éventuelles fibres d’amiante. Autrement dit, aucune certitude, mais il persiste toutefois un sérieux doute. « Les études menées sur la question soulignent que l’ingestion d’amiante pourrait avoir une incidence sur le développement de cancers digestifs sans pour autant pouvoir confirmer un lien de causalité, selon le sénateur Éric Kerrouche (Landes – SER) qui porte la question parlementaire. Le collectif des amiantés témoigne aussi de nombreux cas de maladies professionnelles reconnues sur le plan digestif. » En Italie ou Outre-Atlantique, des études ont effectivement alerté sur l’éventuelle dangerosité de l’amiante dans l’eau. En 2015, des chercheurs italiens évoquaient ainsi un « danger possible sous-estimé ». Suite à une campagne de mesures révélant des concentrations jusqu’à 700.000 fibres d’amiante dans l’eau en Toscane, les scientifiques transalpins établissaient un lien avec des cancers gastro-entériques. Le ministère se veut toutefois rassurant : « Ces canalisations sont de moins en moins nombreuses au cours du temps, et plutôt placées dans « un environnement favorable », c’est-à-dire parcourues par des eaux calcaires non agressives. » A condition que la canalisation soit restée en bon état. Dans son rapport de 2021, l’Anses estime que « les risques de présence de l’amiante dans l’eau destinée à la consommation humaine ne peuvent pas être écartés en cas de canalisations très détériorées ». DES CANALISATIONS AMIANTE-CIMENT QU’ON NE CONNAÎT PAS Dans le doute, la meilleure solution serait sans doute de remplacer les canalisations en amiante-ciment qui demeurent dans le réseau public. Une solution d’ailleurs encouragée par l’Europe dans une directive de 2020 (directive UE 2020/2184 du 16 décembre 2020 concernant la qualité des eaux destinées à la consommation humaine). Combien en reste-t-il de ces canalisations d’eau potable en amiante ciment ? Difficile à dire. « L’amiante n’étant plus utilisé pour les canalisations depuis une trentaine d’années, il est estimé qu’environ 4 % du linéaire de conduites des réseaux publics de distribution pourraient contenir encore de l’amiante, avec des disparités géographiques pouvant être importantes » explique le ministère de la Santé. Le conditionnel est de rigueur, faute d’un recensement précis. La seule véritable estimation jamais réalisée -celle justement reprise par le ministère- parlait de 30.000 à 35.000 kilomètres de canalisations en amiante-ciment toujours en service (sur 850.000 km au total). Petit souci, cette estimation aussi sérieuse fut-elle à l’époque remonte aujourd’hui à… 2002. Presque 25 ans, plus tard, le sujet semble patauger sans aucune certitude sur la toxicité ou non-toxicité de l’amiante dans l’eau et avec toujours une visibilité aussi réduite sur les conduites en amiante ciment qui continuent de distribuer chaque jour l’eau potable. Le sujet n’est pourtant pas délaissé, à en croire la réponse ministérielle, la Direction générale de la santé a lancé « des réflexions » pour mener une « campagne exploratoire de mesures en France ». L’amiante dans l’eau n’a sans doute pas fini de provoquer des vagues.